L’Analyse Transactionnelle (AT) reste encore trop méconnue en France. Pourtant, cette approche de la psychothérapie que je trouve particulièrement intelligente et intéressante mérite à mon sens d’être plus répandue. Il me paraîtrait pertinent de la rendre plus accessible (pour une présentation de l’Analyse Transactionnelle, voir la page l’Analyse Transactionnelle). Elle pourrait par exemple être enseignée aux psychologues, ce qui signifierait l’enseigner à l’Université. Mais ce n’est pas le cas pour le moment et l’AT ne regroupe que quelques praticiens formés dans des écoles privées. Certaines de ces écoles sont agrées par la FF2P (Fédération française de psychothérapie et psychanalyse : c’est le seul organisme en France habilité à délivrer le Certificat Européen de Psychothérapie. Il a pour vocation de « défendre avec rigueur un exercice spécifique, celui de la psychothérapie et rassembler les praticiens de cette discipline qu’ils soient psychiatres, psychologues, psychanalystes, psychothérapeutes ou psychopraticiens à condition que ces professionnels et que les écoles qui les forment se soumettent aux exigences que définies au niveau européen et qui visent à protéger le public » – lien du site à retrouver dans les Ressources ci-dessous).
Bill Cornell
Lors d’une formation l’an dernier, j’avais posé cette question à José Grégoire de savoir pourquoi, selon lui, l’AT n’était pas plus connue en France. Il m’avait répondu que la situation est différente dans d’autres pays d’Europe mais qu’en France, l’histoire de la psychothérapie est très liée à celle de la psychanalyse et qu’il a pu être difficile pour l’AT de s’y implanter. Ces mots rejoignent ce qu’il avait déjà décrit dans un article des Actualités en Analyse Transactionnelle (AAT, consultables sur Cairn), expliquant qu’« en Grande Bretagne, la conscience de la pluralité des approches, par exemple, semble plus forte qu’en France ou en Italie où les approches ont plutôt tendance à se combattre » – lien de l’article à retrouver dans les Ressources. Depuis quelques années toutefois, cette place perd un peu de terrain et on parle de méthodes anglo-saxones comme les TCC (thérapies cognitivo-comportementales), la Systémie ou l’EMDR.
En mai 2018, j’ai profité de la présence de Bill Cornell (psychothérapeute analyste transactionnel américain bien connu de la communauté AT en France) pour lui demander ce qu’il pensait de la place de l’AT dans son application en psychothérapie (il existe également trois autres applications de l’AT : le domaine de l’entreprise, ce lui de l’Education et celui du Conseil).
Eric Berne
Je lui ai demandé ce qu’il pensait de la place l’AT aux USA. Est-ce comme en France, assez peu répandu ?
Bill Cornell a rappelé que lorsque Berne a essayé de devenir psychanalyste en présentant sa thèse qui a été refusée (la future base de l’AT), la psychanalyse américaine était essentiellement freudienne. Cela signifie pour lui : très intellectuelle, très élitiste, avec une grande hiérarchie interne et par hiérarchique, il veut dire « un système de couches d’autorités, où celles « au sommet » sont perçues comme ayant plus de connaissance, plus de pouvoir » (dixit). Mais il pour lui, ce n’est plus le cas maintenant aux Etats-Unis. Il qualifie la psychanalyse américaine contemporaine de très ouverte, peut-être plus relationnelle, la plupart en tous cas. La culture aux USA lui parait donc maintenant bien moins hiérarchique et il y voit plus d’espace pour la diversité de théories. L’AT y a donc sa place.
Bill précise toutefois que l’AT n’est pas enseignée non plus à l’Université aux Etats-Unis.
J’ai également demandé à Bill Cornell ce qui pouvait expliquer la perception de l’AT qu’ont certains de mes confrères d’une méthode « normative ». J’entends par « normative », une méthode qui voudrait prescrire un mode de fonctionnement, de pensées peut-être et de comportements. Car j’ai en effet parfois entendu ce jugement sur l’AT cependant que je la comprends moi-même comme particulièrement permissive et ouverte. Mais lorsque que j’ai fait part à Bill de cette perception que j’avais, il s’est dit surpris. De son point de vue, l’AT n’est pas souvent décrite ni utilisée en ce sens. Je lui ai alors demandé son avis personnel à ce sujet.
Comme il fait de la formation dans bcp de pays, il peut facilement constater la manière dont l’AT est utilisée. Et ce qu’il note, c’est que l’application de l’AT est le plus souvent cohérente avec la culture de chaque pays, elle l’appuie même. Dans ce sens là, l’AT serait donc normative, renforçant la culture dans ce qui est considéré comme sain, désirable, bon. Il dit par exemple constater comment, dans différents pays, l’AT sert une fonction normative autour de la sexualité.
Or, pour lui, « la psychothérapie et le conseil doivent être subversifs : c’est à dire, en dehors de la culture. Ce sont des espaces où les gens peuvent se poser des questions. Où ils se voient en fonction de ce que la culture attend d’eux ».
Bill ajoute qu’il perçoit aussi de la normativité dans la façon de dispenser la formation en AT. « Pour passer mon examen, pour le réussir, il faut que je montre ça et que je dise ça ». La formation serait non-normative si elle aidait les gens à trouver leur propre façon de penser et de pratiquer. Mais pour lui, ce n’est pas nécessairement le cas dans l’enseignement actuel.
Serait-ce le cas dans toutes les méthodes en psychothérapie ou l’AT est-elle spécifique à ce sujet ?
Au sein de la communauté AT, plusieurs personnes m’ont déjà parlé de Bill en disant de lui qu’il est « spécial » et Bill semble d’accord avec cette qualification. Il se décrit d’ailleurs lui-même comme non-puriste de l’AT.
Je lui ai donc demandé comment il définirait cette « spécificité » qu’on lui attribue et dans laquelle il semble se reconnaitre. Selon lui, elle vient de son intérêt pour le corps et la question sexuelle car « pas grand monde écrit là-dessus en AT ». (Serait-ce un appel à contribution ?).
Bill dit également avoir une particularité de par son orientation politiquemarquée. Pour lui, l’AT a besoin de reconnaître des réalités économiques et politiques car même en psychothérapie, elle doit intégrer l’individu dans ce contexte particulier. Quand il a commencé sa formation en AT au début des années 70, il pratiquait dans des communautés et dans des instituts de santé mentale. « On enseignait l’AT dans les églises, dans les prisons, là où il y a des gens pauvres autour de la ville. C’était très social ». Il signale que ce n’est plus forcément le cas pour tous les thérapeutes AT aux Etats-Unis, mais que pour lui, cette dimension sociale est fondamentale. C’est d’ailleurs en partie la raison pour laquelle il a voulu faire de l’AT : « car ce n’était pas le cas en psychanalyse. ça, c’était pour les riches !». Il considère que l’AT attire des thérapeutes intéressés par les problèmes concrets et pragmatiques des gens dans leur vie et il aime ça, que ce ne soit justement pas trop abstrait ou trop théorique, « c’est vraiment une différente significative avec d’autres approches », précise-t-il.
En France, il n’est pas certain que cette dimension sociale existe beaucoup dans l’AT même si un bon nombre de thérapeutes AT exercent comme thérapeutes de groupe. Dans un entretien qu’elle avait donné aux AAT, Claude-Marie Dupin rapportait d’ailleurs que cette dimension sociale, le fait de travailler avec des groupes sociaux, des minorités, ne lui semblait pas très prégnant en France : « l’AT, dès le début en France, était peu sensibilisée à cet aspect. La pratique libérale s’est imposée très vite, au moins pour les praticiens en psychothérapie, entraînant des nécessités économiques qui rendent les investissements sociaux plus difficiles ou du moins extérieurs à notre pratique. » – lien de l’article dans les Ressources.
L’un des ouvrages de José Grégoire
Néanmoins, je trouve cette réponse particulièrement intéressante car ce n’était pas la réponse de Bill que j’imaginais : pour moi la spécificité de Bill vient du fait que dans ses enseignements, il parle de mobiliser ses affects en séances. Dans ses formations, il parle de sensations corporelles et d’émotions du thérapeute tout autant que de technique théorique. Il nous incite à mobiliser notre propre corps pour comprendre et aider nos patients, or cela me parait très spécifique dans la pratique de la psychothérapie, même en AT. Il nous rappelle par là que le vécu personnel du thérapeute n’est pas une entrave pour le travail thérapeutique de nos patients et que, bien utilisé, il peut même être particulièrement soutenant. C’est d’ailleurs de cette façon que je comprends la dénomination de « corporelle-relationnelle » qui est attribuée à la pratique de Bill Cornell dans le livre de José Grégoire (Les orientations récentes de l’Analyse Transactionnelle).
J’ai finalement interrogé Bill sur ce qu’il aime dans l’AT. La réponse a été nette : la communauté. « C’est sûr que ma façon de travailler n’est pas ordinaire. Mais on ne m’a pas rejeté, pas viré. Ils ont accepté ma différence comme quelque chose d’intéressant. » Bill voit donc dans l’AT un espace pour être en désaccord et ne pas forcément partager les mêmes points de vue, ce qu’il ne perçoit pas forcément dans d’autres modèles.
Il a ajouté qu’il aime aussi le fait que la méthode existe dans beaucoup de cultures différentes. Si l’AT a commencé comme quelque chose de très américain, il précise que dans d’autres pays et cultures, elle a trouvé des modes d’expression bien différents, et cela lui plait.
Vous pouvez retrouver William Bill Cornell en français dans son livre Une vie pour être soi chez Payot et dans une entrevue très intéressante de France Brécard parue en 2010 dans les AAT qui développe la place de l’AT aux Etats-Unis.
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