Changer sans se faire du mal

“Les autres y arrivent et pas moi, ce n’est pas normal”

C’est le type de phrase qui justifie souvent le fait de se forcer à faire quelque chose de difficile pour nous. Alors si, comme beaucoup d’entre nous, vous avez déjà pensé ça, je tiens à vous prévenir : c’est faux ! En disant ça, je fais quelque chose de peu orthodoxe en psychologie car nous sommes dans une discipline d’hypothèses et pas de certitudes. Mais, j’assume : cette phrase est doublement fausse. Et c’est pour notre bien… Vous allez comprendre pourquoi.

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Elle est fausse d’abord parce-qu’il n’existera jamais en psychologie de fonctionnement qui soit commun à tous. Il existe autant de fonctionnements que de personnes et il n’y a donc pas de situations que “les autres”, d’une façon générale, puissent gérer.

Voici donc une première bonne nouvelle, notre phrase devient : “Certaines personnes y arrivent et pas moi, ce n’est pas normal”.

Toutefois, il subsiste une affirmation fausse ici car la normalité n’existe pas en psychologie. La normalité est un repère social, en lien avec une majorité. Cette majorité peut-être utilisée par exemple dans un test de QI où l’on compare un résultat en fonction de son écart-type à une moyenne.

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C’est également ce qu’on peu utiliser pour faire des diagnostics en psychiatrie : les symptômes sont évalués en fonction d’une majorité de fonctionnements humains.

Mais cette majorité n’a pas de rapport avec une normalité. Les personnes aux yeux bleus, qui sont rousses ou qui ont un groupe sanguin O font partie d’une minorité puisque ces caractéristiques sont issues de gênes récessifs. Mais il n’est pas plus anormal d’avoir du mal à refuser, de parler en public ou d’oser demander à son voisin de baisser le son de sa musique que d’avoir les yeux bleus. Il s’agit d’une simple différence de dosage de certaines protéines sur des allèles qui ne rend personne anormal en dehors de critères socialement définis.

Voyez comme ces yeux bleus (et même verts) minoritaires et normaux sont beaux !

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D’ailleurs, si nous lisons les propos de Georges Devereux qui a créé l’ethnopsychiatrie (un domaine de la psychiatrie qui est appelée transculturelle), on voit que pour lui, même la schizophrénie est une pathologie culturellement et socialement définie, n’ayant rien à voir avec un diagnostic universel. En effet, dans certaines cultures le schizophrène est caractérisé de personne souffrant d’une pathologie mentale, dans d’autres, il est un chamane !

A ce stade, nous nous retrouvons donc avec une phrase bien différente : “Certaines personnes y arrivent et pas moi, c’est normal”.

Je ne sais pas vous mais moi, je me sens déjà plus légère avec une phrase comme ça… !

Pourquoi c’est difficile ?

La raison pour laquelle certaines choses sont plus difficiles pour nous que pour d’autres se trouve dans notre histoire.

Avez-vous été moqué ou grondé lorsque vous donniez votre avis quand vous étiez plus jeune ?

Des camarades ont-il ri de vous lorsque vous bougiez votre corps ou dansiez ?

A-t-on exprimé de la déception ou une critique lorsque vous avez fait des cadeaux ?

Avez-vous été rejeté quand vous avez refusé quelque chose que l’on vous demandait ?

Vos parents avaient-ils peur des araignées et hurlaient-ils lorsqu’il y en avait chez vous de sorte que vous ayez pu apprendre par mimétisme à réagir par la peur à cet animal ?

L’un de vos ancêtres est-il décédé des suites d’une piqûre d’animal auquel il était allergique ?

(je suis dans l’impossibilité de vous poster ici une photo d’araignée sous peine de hurler moi-même, voici donc une image de sa toile seulement !)

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Toutes ces situations qui ne constituent que quelques exemples parmi des milliers de possibilités ont généré des déductions de notre part. Ces déductions sont devenues des conclusions sur la vie et les relations humaines si elles ont été répétées et/ou suffisamment intenses émotionnellement : c’est ce que l’Analyse Transactionnelle appelle une décision de scénario (mes collègues analystes transactionnels me pardonneront probablement ce petit raccourci aux fins de pédagogie). Ces décisions se matérialisent tout simplement par des connexions de neurones dans notre cerveau et deviennent des schémas de penser, des schémas émotionnels et des schémas de comportement.

Ces schémas sont donc en totale logique avec notre histoire, ils sont propres à chacun(e) d’entre nous (puisque personne, pas même des jumeaux, n’a exactement la même histoire) et ils sont donc… normaux !

Et maintenant, comment faire pour les modifier s’ils nous posent problème ?

La fenêtre de tolérance

Chaque technique de thérapie a sa façon de traiter ces difficultés, mais dans la plupart d’entre elle, nous passons par ce qu’on appelle l’exposition. Cela signifie se confronter à ce qui nous fait peur ou honte. Autrement dit, d’une certaine façon, s’y forcer. Cela est possible de façon virtuelle (c’est en partie ce que l’on fait en EMDR) ou bien de façon physique comme c’est parfois le cas dans les TCC.

Mais pour que cela soit efficace, il faut que le cerveau se trouve dans sa fenêtre de tolérance émotionnelle. C’est à dire que l’émotion ressentie lors de la confrontation ne doit pas être trop forte. Pour l’évaluer on va donc en estimer l’intensité de 0 à 10.

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Au dessus de 510, l’émotion ressentie nous fait sortir de notre fenêtre de tolérance et notre cerveau est sensibilisé. Il va donc confirmer la honte ou la peur ressentie. On comprend bien alors que pour se protéger, il ne va pas chercher à modifier ses schémas. Si l’émotion est particulièrement forte, par exemple à 910 ou 1010, on a même un risque de retraumatisation ! Attention donc.

En revanche, en dessous de 510 d’intensité émotionnelle, le principe d’apprentissage par habituation s’active. Le cerveau peut donc commencer à apprendre une chose différente de ce qu’il connait. Si la nouvelle situation est suffisamment répétée, le schéma pourra donc se modifier et oser dire non deviendra donc plus facile !

Par conséquent, commencez par expérimenter de refuser un service à des personnes qui vous aiment et ne sont pas susceptibles, approchez une toute petite araignée sans la toucher, dansez devant votre conjoint seulement, exprimez une opinion devant seulement deux amis, écrivez à votre voisin plutôt qu’allez lui parler etc… etc… Mais ne mettez pas la barre trop haut car elle pourrait bien n’être jamais atteinte par personne. Cela fonctionne mieux en gravissant les marches une par une.

Dans ces conditions, ce petit pourra monter tout en haut de ce grand escalier ! Ce qui aurait été impossible s’il s’était mis en tête d’atteindre directement la dernière marche. Il aurait même pu se faire mal dans l’exercice.

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Pour résumer

Finalement, pensez-y la prochaine fois que vous voudrez vous forcer à faire quelque chose qui vous fait peur ou honte : c’est possible mais sous conditions, sinon, cela ne sera pas efficace pour changer et pourra même faire mal.

Les conditions sont les suivantes :

  • se souvenir qu’il est logique et normal d’avoir cette difficulté
  • trouver des situations d’exposition à expérimenter dont vous évaluez l’intensité émotionnelle à 510 maximum
  • répéter ces expériences régulièrement jusqu’à ce que l’émotion soit facile à supporter

Alors, quel est votre prochain défi pour surmonter vos difficultés ?

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