La thérapie par le tango argentin

Laurie a écrit un bon nombre de livres en psychologie et elle est plusieurs fois intervenue à la radio (RTL, Radio Notre Dame, Radio Medecinedouce). Elle exerce comme thérapeute dans son cabinet parisien du 19è arrondissement où elle reçoit des adultes en séances individuelles mais aussi en séances de groupe.

Mais Laurie a surtout une particularité à mes yeux : comme moi, elle danse le tango ! Cela m’a donné envie de l’interviewer et lors du Congrès francophone d’AT de Novembre 2018 (qui s’est déroulé à Lyon), elle a accepté de répondre à mes questions.

Rencontre avec l’Analyse Transactionnelle (AT)

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Nous sommes assises sur un banc au soleil dans le parc du Valpré-Lyon d’Ecully, Laurie me raconte une histoire qui commence en 1974 à un moment de sa vie où elle est une jeune fille anxieuse. Sa belle-mère, après lui avoir offert un livre de psychologie « best seller » à l’époque aux Etats-Unis (« I’m OK, your OK », que Laurie ne nous recommande pas !), lui propose de rencontrer une thérapeute de sa connaissance qui utilise cette méthode. Il s’agit de l’Analyse Transactionnelle mais Laurie n’en connait encore rien.

Laurie est très jeune, mais sa belle-mère ne prenant pas rendez-vous pour elle, elle doit décrocher son téléphone elle-même. Elle raconte que prendre rendez-vous avec la thérapeute fut un moment bien difficile, et cela m’a rappelé combien il était important d’avoir toujours à l’esprit que pour nos patients, venir nous rencontrer est un acte très courageux. Même lorsqu’on ne va pas bien, faire la démarche de pousser la porte du cabinet d’un psychologue, d’un psychiatre, d’un psychothérapeute, d’un psychopraticien, ne va pas nécessairement de soi (voir l’article expliquant ces différents psys) . C’est un élément qu’il me semble important à prendre en compte dans l’accueil que nous réservons à nos patients.

Laurie débute donc sa thérapie au début de l’été 1974. En parallèle du groupe de thérapie, la thérapeute organise un groupe de formation auquel Laurie participe également. Cette formation, appelée encore aujourd’hui « 202 » est une introduction relativement détaillée aux concepts de l’AT et constitue souvent la 1ère année de formation dans les écoles d’AT. C’est dans ce contexte que Laurie commence à s’approprier la théorie d’Eric Berne.

Création d’instances européennes

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Pendant l’été 1975, Mary Goulding organise en Suisse le 1er Congrès européen d’AT auquel les membres du groupe de formation de Laurie participent. Et c’est lors de cet événement qu’une partie des congressistes crée l’European Association for Transactionnal Analysis (Association européenne pour l’AT). L’AT se développe et Laurie devient la secrétaire de cette association pour la France. Elle n’a alors que 21 ans !

C’est également lors de ce Congrès qu’elle découvre l’existence d’une certification en AT (CTA). Pour la préparer et la présenter, il faut signer un contrat de formation avec une personne déjà certifiée. Mais il n’en existe pas encore en France ! Au cours du Congrès suivant, Laurie demande donc à Raymond Hostie de passer un contrat de certification avec elle. Mais voilà, celui-ci lui demande d’obtenir d’abord une licence en psychologie. Il va lui falloir reprendre ses études. Laurie se lance alors dans l’aventure universitaire à Paris V et passera son CTA… « à peine 18 ans plus tard ! » (dixit).

Laurie m’indique que dans sa formation universitaire, elle a reçu un cours d’AT auprès de Mony Elkaïm, un professeur de thérapie familiale. Cette situation est doublement notable : d’une part, car aujourd’hui l’AT n’est pas du tout abordée à l’université ; d’autre part, car il est intéressant de constater que Laurie a découvert l’AT dans un contexte plutôt systémique. Or, ce n’est pas toujours de cette façon que l’AT est perçue aujourd’hui. Fille (rebelle) de la psychanalyse, l’AT est en effet parfois plutôt vue comme une théorie très (trop ?) centrée sur l’individu. Il me semble pourtant que par l’étude des transactions, l’AT se prête particulièrement bien à l’analyse des groupes et des systèmes. Laurie ajoute d’ailleurs qu’à ce stade elle n’avait jamais fait de thérapie individuelle.

Un peu plus tard, Laurie, quelques membres de son groupe de formation ainsi que Gysa Jaoui, Isabelle Crespelle et quelques autres personnes créent l’Institut français d’AT (IFAT). Des membres de son groupe commencent également à se constituer en un groupe autonome, indépendant de la thérapeute. « C’était le mélange des genres » dit Laurie. Et il est intéressant de voir comment une théorie nouvelle se développait alors dans un contexte où il n’existait pas de formateurs. Les futurs thérapeutes s’organisaient comme ils pouvaient et les frontières étaient mal définies. Laurie explique que « _du coup, le transfert était un peu particulier. Et puis de toutes façons, en groupe, ce n’est pas vraiment le même transfert_« .

Ah ?

Une théorie pour les groupes

Eh bien justement, quelle est la différence entre la thérapie individuelle et la thérapie de groupe ?

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« _Les patients peuvent parfois entendre différemment les mots des autres participants que de ceux du thérapeute_« , dit-elle. Par exemple, si l’on dit à une patiente « non, vous n’êtes pas folle de penser de cette façon », elle répond parfois en minimisant les paroles du psy : « oui, mais vous êtes mon psy, c’est bien normal que vous pensiez ça ». De la même façon, Laurie précise que les propos du conjoint ont régulièrement peu d’impact sur le patient. En revanche, dans une thérapie de groupe, les retours positifs des autres membres participants peuvent mieux intégrés par les patients, comme s’ils étaient plus crédibles. Ils sont de ce fait très aidants.

Toutefois, pour entrer en groupe de thérapie, Laurie estime que le patient doit « _aller suffisamment bien_« . A certains moments de notre vie, en tant que patient nous avons en effet besoin du thérapeute pour nous seuls sans devoir le partager avec d’autres.

La tango-thérapie

A 42 ans, Laurie prend son 1er cours de danse, c’est du rock. Elle est émerveillée et se dit que la danse est un formidable vecteur de conscience de soi. Cette idée mûrit dans sa tête.

Quelques années plus tard, elle débute le tango. Le déclic se fait à ce moment là : la lenteur possible des mouvements, la conscience de soi et de l’autre très travaillés dans les cours sont pour elle une formidable médiation pour la thérapie. « _Si on peut utiliser le mode de réflexion psychothérapeutique dans un cours de débutant de tango, les gens peuvent explorer plein de choses_« , dit-elle. Dans un cours de tango, on explique en effet que le guidé ne doit pas se laisser envahir dans son espace tout en laissant entrer le guideur. Le guideur, doit, lui, entrer dans l’espace de son/sa partenaire sans l’envahir. « _Quel travail sur les frontières !_« , s’enthousiasme-t-elle.

Pour les personnes qui ne connaissent pas le tango argentin, voici par exemple une vidéo qui présente ce travail de frontières.

Pour pouvoir l’observer, il est nécessaire de savoir que le tango argentin est une danse de complète improvisation. A chaque seconde, les mouvements improvisés du guideur vers l’espace du guidé provoquent une réponse adaptée. L’espace du guidé se déforme face au mouvement perçu pour y réagir sans se laisser envahir.

Lorsqu’elle donne ses ateliers de tango thérapie, Laurie travaille avec des choses très abordables. Il ne s’agit pas, bien entendu, d’être un expert en tango, mais de faire un travail thérapeutique en utilisant le corps et la relation entre les deux partenaires que l’on appelle connexion dans le tango. D’abord juste sentir moi et la musique , mais aussi remarquer les autres en tant que personne, puis sentir ce qu’il se passe lorsqu’on rencontre ces autres. Laurie raconte qu’il se passe un certain temps avant que les gens se rejoignent par deux et se mettent dans l’abrazo(la façon dont les danseurs de tango se tiennent dans les bras l’un de l’autre), c’est une question d’apprivoisement. Selon notre histoire, notre personnalité, nous ne nous approchons en effet pas des autres de la même façon. On prend conscience de notre corps mais également de la place de l’autre. Le partenaire nous accueille mais ne vient jamais nous rejeter ni nous chercher. C’est là que se fait le travail de thérapie.

Laurie aime faire changer de rôle à ses participants : passer du rôle de guideur à celui de guidé et inversement, afin d’explorer toutes les facettes de notre être. Il n’y a donc pas spécifiquement d’AT dans cette approche, ou bien seulement si l’on considère l’AT comme le cadre de référence de Laurie. Pour ceux qui lisent l’anglais, vous pouvez d’ailleurs retrouver un article de Laurie à ce sujet dans le journal d’AT de l’ITAA (International Transactionnel Analysis Association, où Bill Cornell a longtemps été co-éditeur).

Après cet article, Laurie a eu connaissance de l’existence d’une association mondiale de tango thérapie à destination des personnes souffrant d’Alzheimer ou en institution.

Pour en savoir encore plus sur Laurie Hawkes, vous pouvez la retrouver sur son site internet ou bien à travers ses nombreux livres :

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