Sommes nous coupables des difficultés de nos enfants ?

Mais alors, pourquoi-elle si répandue ? De qui d’autre est-ce la faute si ce n’est pas celle de ma mère ? Bonne question autour de laquelle j’avais envie d’écrire quelques mots.

De quelle faute parle-t-on ?

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Les parents occupent une place importante dans la construction de l’enfant. Mais pas la seule place.

Il y a bien cette idée populaire que notre personnalité, nos traits de caractère, et donc bien entendu tout nos problèmes, viendraient des situations traumatiques que nos parents nous auraient fait vivre. Aussi séduisante soit-elle, je crois que cette idée est issue d’une généralisation abusive de l’approche psychanalytique. Dans cette théorie psychologique, les relations aux parents et plus particulièrement à la mère ont souvent été désignées comme une cause de notre fonctionnement futur.
Il est intéressant que cette bonne excuse puisse nous servir lorsque cela nous arrange (et que notre mère nous a agacé par exemple). Mais n’abusons pas des bonnes choses.

Il est vrai que la plupart des recherches en psychologie laisse peu de doutes sur le fait que le contexte de notre enfance, l’éducation qu’on a reçue, mais également l’état du couple parental, l’humeur et le caractère de nos parents, leur présence ou leurs fréquentes absences ont eu une forte influence sur les connexions synaptiques qui se sont formées dans notre cerveau durant notre enfance. Connexions qui sont devenues le terreau de nos schémas de penser et émotionnels.

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Notre construction psychologique résulte d’une équation : relations précoces + génétique + tout un tas de situations différentes auprès de personnes différentes.

Toutefois, cela n’a pas de rapport avec une quelconque faute. Etant donné ce que je peux entendre lors de séances de psychothérapie, cela me parait important à rappeler. Cela peut parfois être une relation de cause à effet : nos relations précoces ont effectivement des conséquences fortes sur la construction de nos réseaux cérébraux (à plus forte raison si elles sont répétés), mais on ne parle pas du tout de faute. Notre personnalité est plutôt à appréhender comme une équation qui ferait intervenir quelques éléments génétiques, beaucoup de nos liens avec ceux qui s’occupent de nous, mais aussi des situations mettant en scène nos petits copains de crèche ou d’école, nos enseignants, nos voisins pourquoi pas, l’état social de l’endroit ou l’on nait etc… Au final, cela concerne notre environnement tout entier et il est bien évident par exemple que l’impact d’un pays en guerre sur le développement d’un enfant ne sera pas le même que celui d’un pays en paix et économiquement riche. Or, cela n’a bien évidemment rien à voir avec une responsabilité parentale.

La place du social

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Si l’on grandit avec ce type d’image devant les yeux, les connexions cérébrales seront probablement beaucoup plus imprégnées d’insécurité que si nous ne les avons pas eues autour de nous enfant.

Selon les cultures ou l’avancée de la recherche en psychologie, des comportements sont donc plus ou moins préconisés et/ou encouragés pour le bon développement des enfants. Mais il ressort finalement que ce qui se déroule dans la relation entre l’enfant et ses parents nous donne simplement des éléments pour avancer plus tard dans la vie. Or, cela ne signifie pas qu’ils soient qualifiables de bons ou mauvais. Ils sont juste là sans que ce soit la faute de quiconque dans la plupart des cas. La culpabilité, pourtant régulièrement ressentie par les parents d’enfants en difficulté, me parait forte. Pourtant, dans la plupart des situations, ils ont fait ce qui était le mieux dans le contexte qui se présentait à eux.

J’aime bien cette image entendue lors de ma première année de formation à l’EAT Paris il y a bientôt 10 ans : on pourrait imaginer que les premières années de notre vie ressemblent à un petit tour dans un magasin ( l’AT étant une approche anglo-saxone, on m’a parfois rétorqué qu’elle recrutait des images consuméristes. Je laisse cette appréciation à d’autres et il est évident que cette image reste une métaphore. Mais elle est à comprendre au-delà d’une visée consummériste et a le mérite d’être assez parlante).

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Cette petite échoppe me semble bien plus cosy et agréable qu’un grand supermarché éclairé au néon, froid et sans âme.

Ce magasin n’est pas le même pour tous.

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La psychologie est aussi une histoire d’équations.

Vous ne pouvez pas tout acheter bien sûr, donc au fur et à mesure de vos pérégrinations, vousopérez des renoncements et ainsi choisissez ce que vous désirez prendre dans les rayons. Malgré le fait que certains physiciens et mathématiciens estiment que nous n’avons pas de libre arbitre (équations à l’appui pour les plus aguérris), nous postulons ici que nous avons cette capacité grandissante (avec nos capacités cérébrales) de faire des choix pour orienter notre vie.

Et à un moment, que Judith Viorst estime être la fin de l’adolescence (ce qui corrobore relativement bien les recherches en neurologie qui déterminent la maturité neurologique à 20-25 ans), nous sortons du magasin. Nous nous retrouvons donc dans la situation suivante : avec tout ce que j’ai dans mon sac, que vais-je pouvoir faire et devenir maintenant ?

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Maintenant que mon bagage est constitué : où vais-je décider d’aller ? Comment vais-je réagir aux différentes situations rencontrées ?

Ceci étant dit, malgré tous nos éventuels efforts en ce sens, notre bagage ne sera jamais parfait. Il n’y a d’ailleurs objectivement pas d’ingrédient (autrement dit de caractéristiques ou de compétences) meilleur qu’un autre. Au mieux, il y a des traits de personnalité plus ou moins appréciés ou adaptés dans certaines sociétés, dans certains milieux familiaux, professionnels ou amicaux, mais qui ne le seront pas nécessairement dans d’autres. Comme l’avait évoqué François Balta un jour de formation : « je ne connais pas de trait de caractère qui ne soit qu’une qualité ou qu’un défaut. Cela dépend des circonstances et du contexte ».

Nos frère et soeurs, ces empêcheurs de grandir en rond

Les grandes personnes ne sont pas les seules à avoir de l’impact sur les enfants (cette citation pourrait sortir tout droit du Petit Prince)

Judith Viorst ajoutait dans son livre (Les renoncements nécessaires) un élément qui me parait important : « la vie de nos enfants recèle des dangers et nous ne pourrons jamais totalement les protéger » (p. 291). Un argument supplémentaire en faveur de la déculpabilisation parentale quant à d’éventuelles difficultés de leur enfant. L’enfant rencontre en effet d’autres personnes que ses parents, avec des modes relationnels qui peuvent être bien différents des leurs : nounous, autres enfants, maitresse/maître à l’école, membres de la famille et surtout… lorsqu’il en a : ses frères et soeurs. Et à ce sujet, certains vont même jusqu’à dire que : « Dans la construction psychologique d’un individu, l’influence de la fratrie est bien plus grande que celle des parents. »

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On comprendra donc que tout ce qui constitue l’environnement de l’enfant peut avoir une influence sur son développement. Et ce qu’il y a de particulier avec la fratrie est la proximité et la constance avec laquelle nous l’avons dans notre vie.

Dans son article paru dans les AAT (Actualités en Analyse Transactionnelle), Anne Noé, nous explique que « Les frères et soeurs partagent une enfance, donc des émotions, des souvenirs [et] une des spécificités de la relation fraternelle réside dans le fait que les transactions s’agissent au niveau horizontal. (…) les rapports de rivalité ou de compétition s’y inscrivent de façon différente que dans la relation parent-enfant » (Classiques d’Analyse Transactionnelle n°8, L’impact de la fratrie dans le scenario).

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Interagir avec nos frères et soeurs nous permet de faire des expériences relationnelles qui modélisent nos schémas sociaux futurs.

Les relations dans notre fratrie vont donc se présenter comme des modèles pour les futures relations que nous aurons avec nos futurs pairs : amis, collègues, amoureux aussi. Et parfois, des pans entiers de notre relation avec nos frères et soeurs sont inconnus de nos parents. De même, la place que nous avons dans la fratrie, sans quelle ait de rapport avec la responsabilité parentale, aura un impact sur notre construction : comment gère-t-on l’arrivée d’un autre enfant dans la famille, le fait que papa et maman ont moins de temps pour moi seul ? Quelle place l’enfant va-t-il se choisir parmi celles disponibles ? Si je suis un enfant unique, comment être seul avec un ou deux adultes ? Comment faire seul face aux attentes de mes parents ?

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Les situations de notre enfance ne sont pas prédictives de là où nous en seront plus tard. Elles sont simplement des données sur la base desquelles se construisent nos forces et nos vulnérabilités.

Des réponses qui ne peuvent être totalement déterminées par l’action des parents. Je reviens alors ici au livre de Judith Viorst qui nous invite à renoncer à la croyance que nous pouvons contrôler tout le développement de nos enfants. Des choses nous échappent et pourtant, il ne s’agit pas d’y voir une faute ni même une erreur. Il s’agit simplement d’un état de fait dont nous ne pouvons déterminer les effets à l’avance.

Le contexte tout entier de l’enfance sera donc un véritable laboratoire naturel pour apprendre à connaître le monde. Le résultat de la personnalité d’un enfant est donc rarement la faute de ses parents et jamais le fruit de leurs seules interventions auprès de lui. Pour s’en persuader, une chanson très scientifique (mais remonte-moral) de l’humoriste Oldelaf !

Ceci étant dit, nous pouvons de temps en temps prétendre ne pas le savoir. J’aime donc à croire que si j’ai ce gros problème de trop manger de chocolat, c’est entièrement la faute de mes parents qui ont rempli de délicieux gâteaux les tiroirs de la maisons de mon enfance. Je n’ai aucune responsabilité là dedans, cela va de soi…

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